CHAPARRAL


Une aile d’avion, une brique résonnant comme un aspirateur, un aileron tel un perchoir, décrire les œuvres de Chaparral relèvent souvent de la métaphore. Mais si ces designs peuvent s’apparenter à de la folie, ils sont en réalité des coups de maître d’un ingénieur qui révolutionnera la course automobile, Jim Hall.
Homme d’affaires mais aussi pilote et ingénieur, Jim Hall est un de ceux qui observent, ceux qui cherchent dans la nature, dans les autres domaines, ceux qui ne suivent pas l’évolution classique des choses. En témoigne ses premiers pas dans le monde automobile.

En effet, Jim Hall va commencer à construire sa première auto, la sobrement nommée Chaparral 1, sur la base d’une Scarab Reventlow Sport de 1960. Très conventionnelle, elle démontre tout de même quelques ambitions comme le travail d’un moteur en position avant si reculé, que la dénomination moteur central semble plus appropriée. Ce sera aussi l’occasion pour Jim de commencer à nouer des liens avec diverses entreprises tels que Chevrolet ou General Electric, qui seront des acteurs majeurs à la réussite de la marque.
La Chaparral 1 sera alors équipée d’un V8 Chevrolet délivrant 300 chevaux. 5 exemplaires seront produits, 3 réservés à la vente, et 2, au sport automobile. Et malgré son caractère très neutre, la 1, conduite par Jim Hall et son désormais fidèle associé Hap Sharp, impressionne avec 2 victoires sur le mythique circuit de Road Atlanta.


Si seulement 5 exemplaires ont vu le jour, c’est parce que Jim Hall s’est tout de suite lancé dans la création d’une nouvelle auto, bien plus à son image, innovante. Et les étoiles s’alignent. Quelques années plus tôt, déjà amis, Jim et Hap avaient participé à la construction du Rattlesnake Raceway à Midland au Texas. Cette piste verra malheureusement dès ses premières courses le décès d’un pilote. La décision est prise d’abandonner le circuit.
C’est à ce moment précis que pour Jim, Hap et donc Chaparral, la situation se débloque. Un circuit délaissé, parfait, voilà une piste d’essai pour les nouveaux prototypes. Le tout dans le plus grand secret, Jim essayant d’être le plus discret possible afin que ses adversaires ne puissent comprendre les innovations des Chaparrals, mais aussi pour dissimuler les essais que réaliseront Chevrolet et General Electric sur les modèles de la marque.

Deux ans après la création de l’entreprise, le « roadrunner » vient arborer la calandre de la nouvelle Chaparral 2A. Cette lettre sera ajoutée plus tardivement, puisqu’en réalité, toutes les prochaines autos découlent de l’auto mère qu’est cette 2A. Dès sa conception, elle représente une vraie révolution. Si sa mécanique initiale se compose d’un V8 Oldsmobile et d’une boîte manuelle, elle sera rapidement remplacée pour un V8 Chevrolet de 475 chevaux et surtout d’une boîte « semi »-automatique. Une innovation qui provient de chez GM, qui voit en Chaparral un « cobaye » parfait.
Mais que serait cette 2A sans l’immense travail de Hall, au passage aussi pilote d’avion (ce qui nous donne un indice sur la source de ses folies aérodynamiques), sur la carrosserie en fibre de verre. Dans le dessin, l’ingénieur utilise l’effet Kammback, en arrêtant d’un trait sec la ligne de l’auto juste après l’essieu arrière. Le but étant alors d’empêcher au maximum la création d’un porte-à-faux qui déséquilibrerait la voiture.

Cette première « vraie » Chaparral ne se fera pas attendre pour briller. A son volant, Jim Hall, Hap Sharp et d’autres comme Roger Penske feront triompher ce bolide à Pensacoala, au Laguna Seca, ou encore aux prestigieux 12h de Sebring en 1965, surprenant ainsi les deux monstres de l’époque, Ford et Ferrari. Cette même année, dans son championnat, la 2A s’imposera à 16 reprises sur 21 Grands Prix. Une statistique impressionnante pour une si jeune marque, mais une récompense pour la volonté et le courage d’innover de Hall.
Dans l’ordre alphabétique, vient la C. Oui la C. En réalité, nous n’avons aucune preuve de l’existence d’une 2B. Mais beaucoup supposent qu’il s’agirait en réalité d’un concept de chez Chevrolet, la GS-IIB.

La 2C donc, sort en 1965, un an avant que la 2A tire sa révérence. Elle présente une nouvelle carrosserie avec plus d’ailettes, d’ouvertures, d’excroissances. Mais surtout, un tout nouvel aileron arrière vient terminer la ligne de la voiture. Ancêtre du DRS, cet aileron possédait 3 positions réglables, qui permettait, encore une fois, d’améliorer l’adhérence de cette bi-place. Sa carrière sera cependant courte, l’envie de rejoindre le monde de l’endurance se faisant de plus en plus pressante pour Jim.
Tout de même, la 2C participera à 3 courses, dont 1 victoire, mais aussi 1 ultime crash qui mit fin au projet 2C.

En 1966, Chaparral s’est fait un nom. Quelques grands pilotes, comme Phil Hill ou Joakim Bonnier, signent pour la nouvelle aventure du constructeur, l’endurance. Pour ce faire, la Chaparral 2D est imaginée. Tout de suite reconnaissable grâce à son cockpit fermé (obligatoire pour participer aux courses d’endurance), et ses ailes élargies permettant de recevoir des pneus plus épais, elle s’impose tout de suite comme une sérieuse prétendante face, encore une fois, aux terrifiantes Ford et Ferrari. Mais des problèmes de fiabilité l’empêcheront d’atteindre le sommet de la catégorie. Néanmoins, avec ce nouveau moteur Corvette de 450 chevaux, la 2D brillera dans une des courses les plus prestigieuses, les 1000km du Nürburgring.

La même année, le projet de championnat CanAm voit le jour. Un championnat où les restrictions sont les moins fortes possibles. Et ça, pour un esprit comme Jim Hall, c’est un rêve qu’il ne peut rater. Alors né la Chaparral 2E et son mythique aileron trônant dans les cieux. Si cela peut sembler absurde, dites vous que cet édifice aérodynamique, reposant sur les suspensions arrières, générait plusieurs centaines de kilos d’appui sur les roues motrices. De plus celui-ci était manœuvrable tout au long de la course via une pédale, qui permettait d’ajuster la position de l’aileron en fonction du tracé. Autre coup de maître, en rééquilibrant la voiture en amenant radiateur et réservoir d’huile sur l’arrière, la 2E reçoit un aileron avant intégré dans la carrosserie pour plus de légèreté. Voila la recette d’une auto qui colle à la route, et qui, il faut le dire, ne passe pas inaperçu.
Aujourd’hui, près de l’ancien Rattlesnake Raceway, des moules permettant de reconstruire les 2E sont en pleine activité. Cela puisque cette Chaparral s’est vue inscrite à la division Historic Racing de la FIA.

Mais la 2E n’est pas encore tout à fait au point, alors pour 1967, la 2F sort d’usine. Et l’aileron est toujours là, plus imposant que jamais. Cette fois-ci, les équipes se sont concentrées sur le travail du moteur. General Electric s’est penché sur le V8 mis à disposition par Chevrolet, ce afin de l’améliorer et de pouvoir espérer rattraper les Ford. Mais les problèmes de fiabilité ne permettront pas aux deux constructeurs de se battre sur la piste. Le système de transmission, qui faisait la spécificité, et aussi la rapidité des 2 ne semble pas supporter les améliorations, de même que les suspensions arrières. Mais lorsque la 2F tenait la distance, elle était difficilement battable, comme aux 1000km de Brands Hatch, où Phil Hill franchira en tête la ligne d’arrivée, rappelant à tous que Chaparral est un grand du sport auto.

Mais après la 2F, les résultats sont de moins en moins présents. La 2G, qui court dans le groupe 6 en Europe, avec un moteur réduit à 3L, se débrouille, mais ne brille pas face aux Lola et Mclaren. Souvent sur le podium, mais sans victoire, la 2G devra en plus enchaîner une seconde saison, la 2H n’étant pas prête à prendre la relève. A sa création, la 2G était pourtant une armada d’innovations, avec surement la ligne la plus travaillée de toute les 2. Mais en fin de saison, un accrochage à Las Vegas entre Hall et la Mclaren de Motschenbacher détruit les deux autos, mais surtout, empêche Hall de reprendre le volant. Pendant 6 mois en fauteuil roulant, il ne pourra pas apporter son expertise sur la 2H.

La 2H arrive à l’été 1969, avec à son bord un tout nouveau pilote, John Surtees. Le concept est simple, l’aile d’avion. Il faut réduire au maximum la surface frontale, jusqu’à obstruer la vision du pilote, ce à quoi Surtees s’opposera farouchement. Elément qui étonne aussi à son arrivée dans les paddocks, la finesse de l’auto. En effet, nous savons tous que sur circuit, il faut utiliser toute la largeur de la piste. Si votre voiture est plus étroite, alors vous avez plus « d’espace » à occuper. Lors de ces premiers tours, la 2H présente quelques promesses, mais son concept est trop loin d’être abouti, et Surtees déclarera détester cette voiture. En résultera la pire saison pour Chaparral.

Pour se relancer, il faut frapper fort. Proposer quelque chose de nouveau qui laissera la concurrence bouche bée. Et ça, chez Chaparral on sait faire. Pour poursuivre son aventure en CanAm, la 2J est présentée. Rien n’a jamais ressemblé à cette … brique munie de deux ventilateurs. L’excentricité de cette auto en fera un symbole, une image qui restera gravée chez tous ceux qui ont pu la croiser en vrai ou dans Gran Turismo. Imaginez la réaction dans le paddock, lorsque, après avoir démarré le moteur de 689 chevaux (pour 821kg), les ingénieurs s’affairaient à en allumer deux autres, enclenchant ces deux grosses turbines à l’arrière. Ces moteurs de motoneige, 50 chevaux chacun, permettaient l’aspiration de l’air situé sous la voiture. Ainsi né la première auto à effet de sol. Ce phénomène est renforcé grâce à des jupes latérales inédites, développées à base de polycarbonate chez General Electrics, qui déposeront le brevet pour ce nouveaux matériaux : le LEXAN.


L’idée est extrêmement novatrice, mais aussi redoutablement efficace. La force de dépression exercée est supérieure au poids de la voiture, ce qui, physiquement parlant, signifie que la 2J pouvait rouler au plafond !
Sur cette ligne de départ de Watkins Glen, se présente Jackie Stewart, volant à la main, puisque oui, c’est la 2J qui apporte le volant escamotable au sport automobile. Le nouveau pilote Chaparral sait que son bolide va terroriser la grille entière. Quasiment imbattable aux essais, l ‘ »aspirateur » comme aime l’appeler les journalistes subit malheureusement en course. Des problèmes de fiabilité, encore une fois, freinent la domination du roadrunner. Les jupes posent notamment problème, puisque, si endommagées, elles entrainent une très forte perte d’adhérence.
Mais sur la grille, tout le monde le sait, si Chaparral règle ce problème, alors la domination des Mclaren M8D va brutalement s’arrêter.
Cependant, c’est la progression de Chaparral qui va s’arrêter subitement. En 1971, plusieurs équipes se plaignent de la 2J, qui, par son système de ventilateurs, rejettent de nombreux débris sur les pilotes derrières. Face à ce problème de sécurité, la FIA décide d’interdire les moteurs auxiliaires en sport automobile. C’en est fini de la 2J.
Chaparral se retire alors pendant plusieurs années, Jim Hall surement dégoûté des décisions prises par la FIA, dans une catégorie qui lui promettait le moins de restrictions possibles.
Il faudra attendre 10 ans. L’année 1979 pour être plus précis. L’usage de l’effet de sol s’est étendu à d’autres championnats, dont le plus prestigieux, la F1. Aux Etats-Unis, l’Indycar intéresse, et intéresse notamment Chaparral qui voit ici l’occasion de revenir sur le devant de la scène. Avec l’aide d’un certain John Barnard, concepteur de la non moins célèbre Mclaren MP4, les usines de Midland produisent la 2K. Proche des Lotus de l’époque, sa livrée Pennzoil jaune et noir permet à Chaparral de refouler le bitume. Et de quelle manière ! Après quelques victoires moins prestigieuses, le pilote Johnny Rutherford vient s’imposer sur le Brickyard des 500 miles d’Indianapolis. Chaparral remporte en 1980 un nouveau grand titre et rentre un peu plus dans la légende.

En 1982, la 2K commence à être dépassée. Mais aucune nouvelle Chaparral ne sortira. Jim Hall deviendra un ingénieur de choix pour les autres écuries (sur Lola ou Reynard), surtout dans les années 90.
Chaparral finit sa carrière dans un doux silence, sans faillite éclair, sans conflit interne. Les passionnés qui l’ont fait vivre ont créé en même temps l’une des références en termes de sport auto.
Aujourd’hui, le Permian Basin Petroleum Museum à Midland, consacre toute une salle à l’aventure Chaparral. Un bon moyen de découvrir le génie, et non pas la folie, de ces ingénieurs qui auront, sur leur piste du Texas, repoussé les limites de l’ingénierie automobile.
