ALLARD


Des riches industriels passionnés d’automobile, il y en a eu, et il y en aura toujours. Mais peu d’entre eux se lance dans la création d’une marque indépendante. Mais celui qui créé sa marque, dessine ses modèles, les construit et les pilote est une vraie exception. C’est pourtant le cas de Sidney Herbert Allard.
Le revendeur Ford depuis 1930 ne peut s’empêcher de regarder chaque jour les voitures de son showroom, et il ne cesse d’imaginer une salle où se sont ses propres voitures les reines de l’exposition. Cette idée tournera en boucle dans sa tête jusqu’à ce qu’il franchisse un premier pas en 1937. Il commence à modifier quelques Ford et Lincoln et à les revendre dans sa concession. Le petit succès qu’il rencontre l’encourage à franchir un second pas. C’est à cette date que le premier modèle non-officielle d’Allard voit le jour. La « Special » ressemble alors plus à un assemblage de pièce qu’une création originale. En effet sous la carrosserie de Bugatti Grand Prix se cache un moteur Ford bien évidemment. Tout d’abord vainqueur de plusieurs courses avec un V8, la Special sera revue pour transporter le V12 de la Lincoln Zephyr.


Sa lancée créative sera alors mise à mal par la WW2. Mais dès 1945, l’anglais a conservé son ambition. Il lui faudra une seule année pour monter son projet : la Allard Motor Company est née.
Dès ses débuts, la marque connaît le succès sur les deux scènes importantes, la scène de la course et la scène commerciale, grâce aux trois modèles que proposent alors Allard, la J1, la K1 et logiquement la L1. La première d’entre elle est la plus taillée pour la compétition. L’aérodynamisme très étudié par Godfrey Imhof associé au châssis de la Ford Pilot dépasse toutes attentes. En effet, même si la J1 est limitée à 137 km/h à cause de son essieu arrière, elle permettra à Allard de se faire un nom dans le milieu de la course.

Si la J1 était le modèle exclusif d’Allard (12 exemplaires produits), la K1 et la L1, les 2 sages de la fratrie trouveront un vrai succès auprès des conducteurs. La K1, une 2 places avec cadre en profilé tube en acier sera produite à 151 exemplaires entre 46 et 48. Si les lignes de sa carrosserie rappellent forcément le style anglais d’après-guerre, sa calandre avant ne laissera personne indifférent. De même que pour les rétroviseurs d’origine placés sur les passage de roues et qui demande au pilote d’utiliser des jumelles pour ne serait-ce que discerner une forme dans le miroir. La L1 est la grande sœur, le véhicule de tourisme 4 places pour se balader en famille le week-end. Il est donc logique qu’elle soit la plus populaire de cette 1ère série de modèle avec 191 véhicules sortis d’usines et disponible à 1000 livres soit environ 50 000 € aujourd’hui. Cependant, les clients se plaignirent du manque d’espace qu’elle offrait.


Bien que visant des clientèles différentes, les trois modèles optaient toutes pour un châssis Ford accompagné de son V8 de la même usine, le tout recouvert d’une carrosserie légère dans un soucis de performance.
Au cours de ces premières années d’existence, la marque amènera quelques modifications sur ces autos. Ainsi, on voit l’arrivée en 1947 d’une version Spyder de la L1 et les V8 Ford seront remplacés par des V8 de chez Steyr. Si ce changement amène à la création de la J2, il amène aussi son lot de problème puisque ce moteur d’abord destiné à l’usage militaire avait tendance à prendre feu au démarrage. Mais cela n’empêchera pas la J2 de prendre magnifiquement le relais de sa prédécesseur en terme de succès. L’âge d’or de la J arrivera en 1951 avec la J2x. Ce modèle produit à 83 exemplaires est une bête de course. Sa maniabilité renforcée en fait l’une des voitures les plus performantes sur les plateaux et attirent alors de grands noms tels que Caroll Shelby ou bien Steve Mcqueen. Les chiffres parlent d’eux-même, 199 départs pour 12 victoires, 11 2ème place et 17 3ème place. La série J sera abouti en 1953 avec la naissance de la J2R.



Durant la longue carrière des modèles J, plusieurs pièces ont été changées. Le pont arrière Ford qui faisait défaut aux légères Britanniques est remplacé par celui d’une De Dion, et le moteur V8 provient désormais de chez Cadillac. Cela est surement dû au fait que Allard se lance dans les championnats américains, comme la course de côte RAC à Watkins Glen. C’est donc un modèle mythique qui tire sa révérence en 1957. Une carrière ponctuée de grands moments comme la victoire en 1952 du rallye de Monte-Carlo, ou encore une 3ème place au Mans en 1950.
Du côté plus « civilisé » de la route, ce sont les modèles K qui arpentent le bitume. En 1950 sort la K2. 119 exemplaires de la 2 places sortiront des usines en deux ans. Elle se démarque forcément par sa nouvelle calandre avant. Plus raisonnable certes, à part pour les immenses pare-chocs chromés style Chevy Bel Air qui équipait certains exemplaires.

La K3 est une rupture totale avec le style précédent. Plus calme dans sa ligne, il faut tout de même remarquer la longueur du capot qui abrite le surpuissant moteur Chrysler Hemi 331. Présentée comme une version conventionnelle de la Jx, la « Palm Beach » K3 ( une volonté de séduire le public américain ?), fut rapidement surnommée la « Corvette Slayer ». Avec seulement 61 exemplaires vendus, la K3 possède aujourd’hui une belle côte avoisinant les 250 000 $. Néanmoins elle eu du mal à trouver acquéreur à l’époque et cela poussa Allard a redessiné son auto et a proposé dès 1956 la Palm Beach K3 Mk2 avec une carrosserie plus moderne. Elle ne trouva pas non plus son public et la série des K fut abandonnée.


Cependant Allard a toujours plusieurs cartes en main. Le modèle P1, qui est en réalité la nouvelle L, devient une berline de sport 5 places. Produite entre 49 et 52, ce véhicule de tourisme cossu devint rapidement populaire auprès des médecins et des avocats. C’est aujourd’hui un modèle assez rare puisqu’il n’en reste que 45 recensées.

La P2 prendra rapidement la suite de la P1. Là aussi on observe une détente sur le calandre avant. La P2 est aussi l’unique modèle d’Allard offrant une combinaison de carrosserie très différente. Vous retrouverez des versions « Monte-carlo » (11 exemplaires), qui n’est autre qu’une version 2 portes restylée de la K3 Mk1, et une version Safari optant pour une carrosserie « break » et les célèbres panneaux de portes en bois qui vous servira à emmener votre famille de 8 personnes en virée sur les côtes anglaises. Mais il vous faudra être chanceux pour trouver un des 13 exemplaires.


Allard qui comptait énormément sur son modèle K pour renflouer ses caisses se permettait de temps en temps de s’essayer à un autre style. En 1948 par exemple, la marque sort un coupé drophead très luxueux qui prendra le nom de M. La série fut rapidement abandonnée les ventes ne suivant pas.

Autre tentative plus loufoques, la Allard Tondeuse de 1953. Oui, la marque qui concourrait au Mans à réaliser cette microvoiture en fibre de verre. Cette « auto » étant censée être capable de transporter 3 personnes à son bord était propulsée par un bycilindre Villiers de 346 cm3. Si cela vous étonne, rappelez-vous que Ligier existe.

Cette belle histoire de l’automobile britannique se termine en 1957 pour des problèmes d’insolvabilité. Le succès du petit constructeur n’aura pas été suffisant pour assurer la stabilité financière de la structure. 1900 autos sortiront des usines en une décennie, une production plus qu’honorable. Mais ce coup dur n’abattra pas Sidney Allard qui continuera de construire des prototypes de lui-même. Il réalisera notamment le premier dragster anglais, le « dragon ». Sa passion et son envie de créer l’accompagneront jusqu’à sa mort en 1966. Comme un symbole, la nuit de son décès un incendie se déclare dans l’usine d’Allard à Clapham et de nombreuses archives sont réduites en cendre.

Mais la fin d’Allard ne convenait pas au fils de Sydney, Alan. Et alors, dans les années 90, la marque renaît avec un modèle avec un style bien évidemment beaucoup plus contemporain, la P4. Le fil rouge du projet est simple, partir d’une base Japonaise et la retravailler à la sauce anglaise un peu comme pour la Rover Sterling 825. Mais même si le projet tenait la route sur le papier, l’association entre Allard et Toyota ne se fera jamais et la renaissance d’Allard fut suivi d’une vie brève puisque l’entreprise fut liquidée sans avoir produit un seul modèle.

Mais il faut croire que la famille Allard ne lâchera jamais le morceau. En 2012, Roger Allard propose une J2x modernisée. Elle offre plus de sécurité avec de nouvelles suspensions, de meilleurs amortisseurs, mais aussi plus de performance. Avec un châssis en aluminium, elle ne pèse que 975 kg alors qu’elle embarque un V8 avec elle. Accrochez-vous bien puisqu’elle abat le 0 à 100 en 4,6s. Si une chose est bien réussie sur cette voiture, c’est bien le respect de la philosophie que représentait la série J. Cette renaissance permet à Roger Allard de réaliser à son tour quelques expériences automobiles. La plus notable est surement le prototype Allard J2X-C, une voiture digne du Mans avec son moteur V8 préparé par Cosworth et sa transmission de F1.


La détermination de la famille Allard doit être un exemple dans le monde de l’automobile. Des choix pas toujours justes, mais une passion qui se ressent dans chaque modèle. La marque mérite de gagner en reconnaissance et en visibilité. Catheram et Morgan ne sont pas les seuls choix si vous voulez vous amuser à titiller les vibreurs avec la classe anglaise.