BRICKLIN
Si je vous parle de sécurité dans le monde automobile, c’est vers nos amis suédois que vos pensées vont se tourner ; Saab et Volvo en grands artisans de la réduction de la mortalité sur nos routes. Pourtant, outre-Atlantique, un personnage étonnant (c’est le moins que l’on puisse dire), un certain Malcolm Bricklin, se lancera dans l’aventure avec une idée claire en tête : la supercar sécuritaire.
Comprendre Malcolm Bricklin s’impose afin de pouvoir s’immerger dans le monde de sa marque automobile. Dès ses plus jeunes années, il aide son père dans le monde de l’entreprenariat. lls fondent ensemble une franchise de magasins d’outillages (Handyman) ouverts 7j/7. Mais Malcolm ne souhaite pas faire prospérer cette entreprise. Il récupère l’argent de la franchise et se rend insolvable. Un petit tour de passe-passe qui lui rapportera 4,5 Millions de Dollars.
Il réitèrera le coup quelques années plus tard. Rentrant dans le monde de l’automobile en important des Subaru 360 du Japon aux USA (en1968), il les brade, faisant par la même occasion couler Subaru of America. Une fois de plus il réussira à partir avec quelques millions dans ses poches. Néanmoins cet épisode va lui permettre de rencontrer de nombreuses personnes du milieu, dont notamment Bruce Meyers, le créateur de la célèbre Meyers Manx.
Baigner dans cet univers poussera le toujours jeune Malcolm à s’imaginer constructeur automobile. Mais malgré ses millions accumulés, il n’a pas les fonds pour se lancer seul. C’est à ce moment là qu’il réussira surement le plus gros coup financier de sa carrière. En s’expatriant au Canada, Bricklin propose l’idée d’une marque automobile à différentes provinces du pays. Le Québec refusera d’aider l’homme d’affaires, mais au Nouveau-Brunswick, l’idée d’un constructeur automobile permettant de relancer l’économie et de relever le taux d’emplois (500 postes créés) tombe comme une aubaine. 4.5 Millions de Dollars sont débloqués par la province et 3 autres par l’Etat. Une usine est aussi mise à disposition dans la ville de Saint John. Cet argent, destiné à couvrir les frais de production et de commercialisation, sera en réalité utilisé pour développer le premier et unique modèle : la Bricklin SV-1.
Aux prémices de cette auto, un concept innovant est mis en place. Face à la crise pétrolière, obligeant les constructeurs à utiliser des moteurs moins puissants, et les critères de sécurité toujours plus exigeants, rendant fous les designers de ces marques, Bricklin souhaite se jouer de ces éléments pour construire la toute première supercar sécuritaire, la SV-1 (Security Vehicle 1).
Malgré un apport financier considérable, construire un prototype puis le commercialiser est un gouffre financier dans un premier temps. Ceci explique pourquoi le premier prototype de la SV-1, dénommé « The Grey Ghost » en raison de sa couleur grise, emprunte de nombreuses pièces aux autres constructeurs. Par exemple, la suspension arrière vient d’une Datsun 510, et le moteur est issue d’une Chrysler. La ligne quant à elle, est le résultat du travail de plusieurs designers. Tout d’abord Bruce Meyers, puis, et surtout, Marshall Hobart et Herb Grasse. Ensemble, ils mettent au jour une auto dont les formes peuvent rappeler celles des Datsun de l’époque.
La conception prend du temps, notamment à cause des éléments de sécurité implantés et de la composition de la carrosserie. Cette dernière présente un assemblage de deux couches superposées de fibre de verre et d’acrylique. Fait étonnant, la voiture n’a pas besoin de peinture, puisqu’en réalité, la couleur est due à la pigmentation de la couche supérieure d’acrylique. Cette méthode de fabrication aura cependant de gros inconvénients, dont le principal est le taux de perte. Au début de la production, il n’était pas rare qu’entre la faible résistance aux rayons UV, et la désolidarisation des deux couches, le taux de perte s’élève à 60%. Il sera stabilisé aux environs des 20% en fin de carrière.
Mais ce véhicule n’aurait pas lieu d’exister sans son aspect sécurité. Comme le dit toujours Malcolm Bricklin, une voiture peut être jolie et sécuritaire. Pour se faire, les ingénieurs de la marque imagine des pare-chocs rétractables, permettant ainsi d’éviter tout dégât en-dessous des 8km/h (des accidents de parking en soit, le C4 Cactus n’a qu’à bien se tenir). Autre élément plutôt cocasse, la voiture ne présente pas d’allume-cigare, ni de cendrier. En effet, on ne fume pas au volant, cela représente une entrave à la sécurité (un choix très courageux dans les années 70).
En 1974, la voiture est à peine prête. Mais face à la patience des dirigeants de la Province (qui attendent depuis 3 ans de voir à quoi va ressembler l’auto de la marque dont ils sont propriétaires à 60%), la SV-1 est dévoilée en urgence au restaurant The 4 Seasons à New York. Elle est présentée comme une auto révolutionnaire, une sportive comparable à la Corvette, mais vous assurant une espérance de vie supérieure. Le tout à seulement 4000 Dollars, soit 1000 de moins que sa rivale de chez Chevrolet. Ah attendez. On m’annonce qu’il faudra débourser en réalité 7490 Dollars pour pouvoir l’avoir tout de suite. Attendons un peu, Malcolm Bricklin a annoncé qu’il y aurait 10 000 exemplaires par an.
Ce premier jet est équipé de suspensions de l’AMC Gremlin, et d’un moteur AMC V8 de 360cm3, conférant à la supercar une puissance de 220 chevaux. Cependant, face à la difficulté que rencontrera AMC pour combler les attentes de la marque, la SV-1 recevra, quelque temps après, un nouveau moteur, un V8 Ford de 351cm3 ne développant que 175 chevaux.
Cela étant, côté performance, la presse semble plutôt agréablement surprise par cette auto. Pouvant fleurter avec les 190 km/h et en abattant le 0 à 100 en moins de 10 secondes, le tout bien équilibré par une balance 52/48, la comparaison avec la Corvette n’est pas volée. Mais malgré tout, la Bricklin SV-1 sera un grand échec.
Avez-vous déjà essayé de vous lancer dans quelque chose sans aucune compétence ou appétence pour ce domaine ? Et bien c’est ce qui est arrivé à la majorité des employés de l’usine de Saint Johns, plongés dans la mécanique d’une supercar sans aucune expérience. Mais cela ne touche pas uniquement la service production, mais aussi tous les services comme celui du contrôle qualité.
Ainsi, inutile de dire que la voiture est très, très peu fiable. Les portes à la Gullwing sont si lourdes, qu’un système électrique est nécessaire pour les ouvrir. Durée d’ouverture : 12 secondes. Et encore, vous aurez de la chance si le système fonctionne.
Cela explique pourquoi seuls 2906 exemplaires ont été produits, avec une baisse de production dans la dernière année, en 1976. A ce moment-là, la voiture est disponible à partir de 9980 Dollars, un prix excessif pour la SV-1. Aujourd’hui vous pourrez en trouver aux alentours des 20 000 euros (bien qu’un exemplaire est dépassé les 100 000 Euros récemment !). Visez les modèles en boîte manuelle, excessivement rares, la plupart étant équipés d’une boîte automatique 3 vitesses à l’américaine.
Bricklin tentera de se sauver en proposant des véhicules spéciaux. Parmi eux, nous pouvons citer la version police, distribuée à la police de Scottsdale (où notre cher Malcolm possède un ranch). Face à la difficulté d’en rentrer et d’en sortir, et la chaleur de l’Arizona détruisant le système électrique, les forces de l’ordre abandonneront rapidement cette sportive.
Une version dite « chairman » aurait dû voir le jour aussi. Dans une livrée noire à bande dorée, la SP-1 se montrait plus luxueuse, plus chic. Le client recevait même une combinaison doré lors de la réception ! Malheureusement la fin du constructeur arrivera avant la potentielle commercialisation de cette finition.
Presque anecdotique, en 1978 la Mini Bricklin s’offrira à 500 Dollars aux propriétaires d’une SV-1. Il s’agit en effet d’une version miniature de sa grande-soeur, un jouet en soi, équipé d’un moteur de 3 chevaux.
Face à un endettement toujours plus grand, Bricklin fait faillite. Cette dette appartient alors non pas à Malcolm Bricklin, mais bien au Nouveau-Brunswick qui est bel et bien le propriétaire de la marque. Le multimillionnaire s’en sort une nouvelle fois.
Dans le futur, Bricklin aura continué d’entreprendre (souvent en partant juste avant la faillite) et aura conforté sa fortune. Il laisse derrière lui un modèle unique, un concept qui, au final, est rentré dans la culture canadienne. Pensiez-vous voir un jour une pièce de monnaie à l’effigie d’une obscure auto des années 70, ou encore un timbre dévoilant sur un fond dégradé la figure orange élancée de la Bricklin SV-1 ?