ANADOL
L’automobile est un outil mondialement utilisé. Mais pourtant seuls quelques pays sont considérés comme des grandes nations de l’automobile. Le Japon, la Grande-Bretagne, l’Italie ou plus récemment la Chine, le parking automobile mondial se répartit entre quelques nationalités seulement. Mais cela n’empêche l’existence de quelques constructeurs plus « régionaux ».
Dans les années 60, la Turquie est un pays en développement, mais très instable politiquement. L’image du pays devient chose primordial lorsqu’une junte militaire arrive au pouvoir. C’est ce que remarque Vebi Koc, un homme d’affaire à la tête de la société Otosan, entreprise qui produisait des utilitaires Ford. Témoin de l’explosion de l’automobile dans les autres pays développés, il ne comprend pas que son pays ne possède que 91 000 voitures. Cette pensée le travaillera et il amènera sa propre solution, créer une marque turque pour lancer l’économie automobile dans le pays.
Koc va tout de suite essayer de prendre en compte le faible revenu des turcs dans le cahier des charges de ses autos. Il est donc décidé que les carrosseries des voitures seraient en fibre de verre. Moins chère certes, mais un encas pour les rats et chèvres qui déambulent dans les rues. Après de nombreuses discussions, les autorités accepteront finalement ce choix.
Un concours est lancé en 1966 pour trouver le nom de la marque. Avec plus de 2000 propositions reçues, Anadol sera retenue et alors naît la première grande firme automobile turque.
Bien qu’elle marque une certaine volonté d’indépendance, la firme turque se rattache énormément au groupe Ford via son PDG. Le premier modèle sorti, la A1, est donc une Reliant FW5 retravaillée par Tom Karen, alimentée par un moteur 1200cm3 tiré d’une Cortina. Durant sa carrière (1966-1975), elle obtiendra diverses améliorations, du volant au pare-choc, en passant par la transmission mais surtout le moteur. Le 1300cm3 de la Anglia vient prendre la place de celui de la Cortina. Elément intéressant, si la coque de cette auto était en plusieurs parties, cela était dû au fait que la marque ne possédait pas d’usine d’emboutissage rendant impossible la création de monocoque.
La A1 sera dérivée en plusieurs versions et éditions limités. En 1971 tout d’abord, à l’occasion des Mediterrannean Games, la Akdeniz est présentée. Version restylée de la A1, elle est en réalité la base du dessin de la A1 mk2. Cette dernière version sera déclinée en 3 types, un coupé, un sedan et une estate.
La carrière de la A1 ne s’arrête pas seulement au marché automobile, puisqu’elle entrera en compétition avec le team rallye ARTakimi. Renç Kocibey et Demir Bückey comme pilote, on a là la toute première écurie totalement turque. Un drapeau qu’ils hausseront fièrement en Grèce, lorsque le team remporte sa première victoire au Rallye de Thrace.
En 1970, quand la Anadol A2 sort des usines stambouliotes, elle est le tout premier sedan en fibre de verre au Monde. Elle remporte un petit succès sur le marché local, mais un élément reste à améliorer, la sécurité. C’est pourquoi la A2 SL, sorti en 1976, est passé par une série de crashtests supplémentaires.
La deuxième Anadol deviendra alors un franc succès puisqu’au même titre que les Lada en URSS, elles seront des autos de profession. Taxi, police, poste etc. la Anadol A2 devient récurrentes sur les routes turques avec 35668 unités vendues, un nombre astronomique sachant que 10 ans auparavant, la Turquie ne comptait même pas 100 000 voitures.
Entre-temps, la marque a étoffé sa gamme. Pour répondre aux besoins de la population rurale, cherchant un véhicule léger mais robuste, Anadol présente la P2 500, un pick-up basé sur la A1 avec un 1.6L de Pinto. A l’image de la Peugeot 404 Pick-Up, elle deviendra un vrai véhicule utilitaire. Retravaillée en 1983, sa présence sur le marché sera prolongée jusqu’en 1991. 37 000 exemplaires furent vendus dont de nombreux à la Poste turque.
Les A1 ne furent pas les seuls Anadol à s’inscrire en course automobile, puisqu’en 1971, Eralp Noyan dessine une sportive luxueuse, la Anadol STC-16. Sa ligne rappelle celle de la Datsun 240Z ou de la Ginetta G21. Cette carrosserie reposera sur un châssis modifié d’Anadol A1, le tout propulsé par un moteur 1.6L de Ford Mexico. D’autres éléments de chez Ford Performance viennent agrémenter la STC-16, notamment des pièces de Ford Capri.
Ce modèle sera engagé tout d’abord en Sport Turkish Car Championship où elle rencontrera le succès. Cela poussera la firme turque à exporter leur auto jusqu’au Royaume-Uni pour divers tests afin d’intégrer le circuit européen. Elle fera forte impression auprès du public, qui ne connaissant pas du tout Anadol, pense avoir en face d’eux un prototype de l’une de leurs grandes marques.
Si elle brille sur les divers rallyes, commercialement parlant la situation est toute autre. Un peu chère, c’est surtout sa consommation qui rebute les acheteurs. En effet la première crise pétrolière frappe le Monde, et le marché de l’automobile tourne au ralenti. Seuls les pilotes de rallyes ou les jeunes célébrités s’intéressent au modèle. En 4 ans de carrière, seuls 173 modèles seront produits.
De moins en moins compétitif sur le marché automobile, Anadol se doit de trouver une formule pour relancer les ventes. Pour ce faire, la marque turque va s’inspirer des deux illustres Bertone et Pininfarina pour peaufiner les détails (comme les feux arrières) de leur toute nouvelle direction artistique. L’Anadol SV-1600, premier break en fibre de verre, sort au cours de l’année 1973. Certains la comparent alors à la Reliant Scimitar. Ce modèle permettra à la marque de retrouver quelques couleurs pendant quasiment 10 ans, avant que la décision soit prise d’arrêter sa production en 1982.
Durant cette décennie, Anadol s’essaye à de nouvelles expériences par le biais du projet Böcek. En réponse à une demande de l’armée turque, la marque et son designer Jan Nahum développe un petit buggy en fibre de verre comme toujours. Mais le projet ne s’arrête pas là, puisqu’au delà d’un véhicule militaire, c’est un véhicule de loisir, un véhicule proche des plages à l’image d’une descendante de la Mehari que cherche à dessiner Nahum. Avec son moteur Ford de 1300cc, la Böcek interpelle surtout par son style Pop Art très prononcé. Des angles très marqués, des couleurs pétantes, mais avant tout une asymétrie de la calandre avant, un déséquilibre du nombre de feux (3 feux arrière-gauches et 2 à l’arrière-droit) dessine une auto tape à l’œil. Elle trouvera même un usage professionnel dans le monde du journalisme. La Turkish Radio profitera de la vue télescopique qu’offre la Böcek pour pouvoir filmer tout en roulant. Cependant, seulement 203 exemplaires s’écouleront au cours des deux années de vie de ce concept (1975-1977).
En 1981, afin d’assurer la succession de la SV-1600, Anadol présente la A8-16. Au revoir les lignes de la Reliant et les détails des designers italiens, ce modèle fait la part belle aux constructeurs suédois. Ce nez avant plongeant et les phares en retrait (qui étaient ceux de la Böcek) rappelle forcément les Saab et Volvo de l’époque. Ce côté futuriste, ou pièces rapportés pour les assidus de la marque, condamnera la familiale et son moteur 1.6L de la Pinto à l’échec commercial et, plus largement, à la faillite de la marque.
En effet, après 1984, date de fin de production de la A8-16, sortiront des usines Anadol uniquement des prototypes, pour la plupart designés par Nahum. Nous pouvons par exemple citer la Çağdaş. Néanmoins, le concept le plus abouti viendra de la main du designer italien Bertone qui reprendra les lignes de la A8-16 tout en la mélangeant avec une Peugeot 405. Ce sera aussi le moment choisi par la marque pour faire peau neuve en changeant de logo.
Malheureusement, le sort de la marque est déjà scellé. D’autant plus lorsque l’usine d’Otosan recommence à ne produire que pour Ford.
Nous pourrons aussi saluer la tentative de Reliant, proche d’Anadol, d’emmener le constructeur turc sur de nouveaux continents. Malheureusement, les grands groupes ont déjà monopolisé les marchés et Anadol réussira à subsister quelques temps en plus uniquement sur le sol néozélandais sous le nom d’Anziel Nova.
Robuste, facile à entretenir, mais surtout utile au plus grand nombre, Anadol reste aujourd’hui une marque référence en Turquie. Il n’est pas rare d’en croiser une version pick-up dès que les champs se présentent. Ainsi, Vebi Koc a prouvé qu’il était possible de lutter à l’échelle régionale contre les géants du Monde automobile, que ce soit d’un point de vue économique, mais aussi sportif.
Très bel article. Je suis le possesseur de la seule Anadol immatriculée en France (A1 Mk1 de 1971)