AMILCAR
Ils sont quatre au début de cette aventure qui va marquer l’automobile française, un quatuor d’investisseurs et de passionnés prêt à en découdre sur un terrain protégé par Bugatti ou Salmson, les sportives françaises. Emile Akar, Joseph Lamy, André Morel et Edmond Moyet, voici les noms de nos ambitieux protagonistes.
Dans les années 20, les projets de cyclecar sont nombreux, et Edmond Moyet et André Morel, respectivement ingénieur chez le Zèbre et pilote, n’échappe pas à cette tendance. Ils connaissent assez bien le milieu automobile. Pour preuve Morel a déjà travaillé au sein d’une grande marque, Berliet, et fut même un acteur important sur le Tour de France Auto. Nos deux collègues savent donc qu’il leur est indispensable de trouver des investisseurs pour ne serait-ce que présenter un prototype.
Fort d’un réseau déjà conséquent, la quête d’hommes d’affaire prêt à se lancer dans l’aventure fut rempli en quelque semaines. En effet, chez le Zèbre, structure dans laquelle travaille toujours Morel, deux hommes s’intéressent à ce projet. Un repas à Excelsior finit de les convaincre et en 1921, Emile Akar, Joseph Lamy et André Morel quitte le Zèbre pour fonder la Société Nouvelle Pour l’Automobile Amilcar (SNPAA), un nom qui fait référence aux deux financiers de la marque.
Les rôles se répartissent logiquement : Moyet devient l’ingénieur en chef, Morel est promu au rang de responsable des ventes et Lamy prend le poste de directeur commercial.
Un problème reste à régler avant de se lancer franchement dans l’aventure, celui de l’identité d’Amilcar. Une voiture à la fois populaire mais très poussée technologiquement, des autos raffinées capable d’abattre les chronos sur la piste, voila ce que recherche désormais les quatre instigateurs. Et quoi de mieux pour représenter cela que le cheval ailé de Pégase comme bouchon de radiateur.
Après un rapide déménagement de Paris vers Saint-Denis, la firme Amilcar présente dès octobre 1921 un premier modèle, le type CC, dérivé en trois châssis différents. Le plus populaire restera le cyclecar qui gagnera la réputation d’une machine rapide, solide et homogène. Le CC, équipé d’un moteur de 903 cm3 et pesant aux alentours de 350 kg s’affirme autant au salon de Paris que sur circuit. En effet, la ligne de ce premier modèle qui sera tout de même produit à 5000 exemplaires rappelle fortement le design marqué de chez le Zèbre ; mais sur la piste, plus de comparaison possible. Un rapport poids/puissance imbattable à l’époque, allié à l’implémentation de la technologie issue de la moto permettent à l’Amilcar CC de remporter le Kilomètre lancée avec une vitesse de plus de 90 km/h à l’arrivée, prémices d’un grand succès sportif. Ces premiers lauriers poussent la marque à s’orienter davantage sur les performances (notamment pour répondre aux exigences des jeunes conducteurs sportifs), et ainsi sort la CS quelques mois plus tard. Ce modèle (1400 exemplaires) reçoit une cylindrée portée à 985 cm3. Elle brillera alors sur le Bol d’Or en s’imposant dans sa catégorie sur le tracée encore en terre traversant la ville de Vaujours.
Dans le même temps, soucieux de plaire aussi aux familles, la CC est dérivée en 4 places avec la C4. Elle obtiendra un assez beau succès avec un peu moins de 5000 exemplaires vendus.
Mais cette même année 1922, l’image sportive d’Amilcar va être tâchée par les voisins de chez Salmson qui, avec leur moteur à double arbre à came, viennent surclasser les CC et CS.
Ni une ni deux, Moyet retourne sur sa planche à dessin. Nouveau châssis, nouveau système de suspensions, nouvelle aérodynamique, la voiture passe du cyclecar à une vraie voiture de course miniature. De nombreux signes montrent cette inspiration comme par exemple le décalage du siège conducteur pour affiner la coque. Souvent, un ajout massif de nouvelles technologies a tendance à rendre la voiture moins fiable. Mais ici, le moteur latéral de 1074 cm3 répond parfaitement aux attentes en terme de robustesse et de fiabilité. L’aspect pratique a été conservé tout aux longs du projet de Moyet, si bien qu’au-delà de ses performances, la CGS pour « Grand-Sport » obtiendra son succès via son entretien simple et peu coûteux. Une version surbaissé suivra, la CGSs, porteuse de quelques retouches dont sa garde au sol, son décalage siège conducteur/passager ou encore ses réglages moteur.
Ces modèles sportifs furent d’immenses succès commerciaux. Si bien qu’ils s’internationaliseront en Italie par exemple, sous le blason Amilcar Italiana, sous Pluto chez nos voisins allemands, ou encore Grofri en Autriche. De nombreuses personnalités tombèrent sous le charme des petites sportives françaises comme le Roi d’Espagne Alphonse XIII ou encore Isadora Duncan. Cette dernière fera avancer la sécurité routière malheureusement à ses dépends. La danseuse reconnue mondialement était une singulière. Bisexuelle, américaine et communiste, elle n’hésitait pas à tester les autos de son garagiste Benoît Falchetto, comme ce mercredi 14 Septembre 1927. Avec sa longue écharpe, elle se glisse derrière le volant d’une Amilcar GS, pour prendre la route le long de la Côte d’Azur. Son châles virevoltent dans le vent jusqu’à ce que ce dernier s’emmêlent dans les hayons de la roue. Projetée, elle décède sur le coup. Sa disparition dramatique engendrera une réaction dans le milieu automobile et dès lors les passages de roues deviendront monnaie courante sur les nouvelles autos.
Retour en arrière en 1923. Il faut croire que la tension de la concurrence éveille un certain esprit de compétition chez Amilcar, puisqu’ils vont chercher à s’aligner sur le marché des 10 CV avec la Type F, un véhicule imaginé pour s’adresser à un plus large public. Mais face aux mastodontes de l’époque qui sortent en même temps leur Peugeot 173, Citroën B2, Renault KZ ou encore la Mathis SB, la Type F n’attire pas. Les acheteurs français semblant ne pas comprendre pourquoi une marque aussi sportive se lancerait dans le véhicule populaire.
La compétition automobile est donc l’espace où les Amilcars préfèrent s’exprimer. Mais quand les Salmsons, une nouvelle fois, surpassent les CS, les CGS et les CGSs, on donne à Moyet carte blanche pour redorer le prestige défaillant de la marque au Pégase.
Cette fois-ci, ce sera un moteur 6 cylindres de 1100cm3 et de 83 ch qui alimentera la voiture bleue, couleur du constructeur. 83 chevaux, cela ne semble pas énorme, mais Moyet réussira à tirer parti de chacun de ces chevaux pour que le prototype CO atteigne les 200 km/h. Cela lui permettra notamment de faire tomber le record du Miles lancée avec une moyenne de 198 km/h.
Propulsée par les très belles critiques des experts, la CO sera dérivée en une version client, dénommée la C6, avec quelques 40 exemplaires produits. Une victoire de prestige suivra au rallye de Monte Carlo grâce à une splendide performance de Marcel Lefebvre-Despaux (et non André).
En 1927, Amilcar poursuivit sa quête de performance avec la type MCO. Une monoplace rabaissée de 107ch ayant pour but de passer la barre symbolique des 200 km/h. Ce sera chose faite en 1928, avec Morel franchissant la ligne du kilomètre lancé sur une moyenne impressionnante de 210 km/h.
L’Amilcar 6, ou CO s’imposera dans le paysage sportif français puisque tout au long de sa carrière (jusqu’en 1949), elle s’installera sur les podiums. Avec 43 records du Monde, une victoire au Bol d’Or en 1933, ou deux podiums au 24h du Mans 1934 et 1938, Morel, les frères De Gavardie ou encore Charles Martin n’ont cessé de remplir l’armoire à trophées. Salmson est vaincu, laissant Amilcar devenir la référence française en terme de course automobile. Le constructeur s’essaya alors outre-atlantique aux 500 Miles d’Indianapolis, mais sans succès puisque Jules Moriceau verra la mécanique de sa rebaptisée Thomson Product Special faillir.
En parallèle, la production de voiture de tourisme se poursuit. Depuis 1924, la Type G assure à Amilcar une place dans cette gamme. Sans grand succès ( 2500 exemplaires vendus), elle restera éclipsée par les modèles sportifs de la marque qui restent abordable et procurent de vraies sensations de pilotage. Mais la Type G ne restera pas l’unique modèle de tourisme de la marque dans les années 20.
Dès 1927, le président Poincarré ayant mit fin à la déliquescence du franc, les économistes prédisent alors une période de prospérité. Emile Akar y voit une nouvelle chance de s’imposer dans le milieu du véhicule de tourisme. En effet tous les voyants semblent au vert, mais la réalité va s’abattre tant sur Amilcar que sur les autres constructeurs. Chez Renault par exemple, le chiffre d’affaire chute de 571 à 431 millions de francs entre 1926 et 1927. Cette chute s’expliquerait par le terrible dernier trimestre de 1926, qui aura pour conséquence une recherche de stabilité du marché l’année suivante. 1927 est donc une année peu dynamique et la Type L qui sort à cette période avortera rapidement. Ce ne fut pas le seul modèle de tourisme de la marque durant les années 20, mais les Types E ou J seront tout autant des échecs commerciaux. Cette situation conduira au premier remaniement au sein de la marque. Emile Akar et Joseph Lamy quitte le navire et c’est Marcel See qui reprend le flambeau.
Cette nouvelle période s’ouvre avec un nouveau modèle, la Type M. Plus luxueuse, la gamme composée de 4 versions, la M, la M2, la M3 et la M4 bénéficiant du même moteur 4 cylindres obtiennent un succès un peu plus marqué avec près de 6000 exemplaires vendus entre 1928 et 1934.
Dans le même temps aux Etats-Unis, Amilcar lance les Types C8 et C8 bis. Les deux sont des versions très luxueuses, avec châssis surbaissé et de nombreux éléments en chrome. Le but est de s’adapter aux goûts de la clientèle américaine. Mais la fiabilité plus que limite d’un moteur à la cylindrée trop faible pour tracter l’auto (1800cm3) couplées au krach boursier de 1929 enterrent les chances de succès du modèle puisque seuls 800 exemplaires trouveront acquéreur.
La situation économique s’étant largement dégradée, la production s’oriente vers de plus petits modèles, moins chères et plus légers. Moyet se charge alors de dessiner la 5CV Type C. Equipée d’un 4 cylindres de 845 cm3, cette petite auto pouvait atteindre les 90 km/h. Entre 1933 et 1934, elle sera retravaillée à différentes reprises, donnant naissance à la C3 et à la C5, cette dernière recevant un moteur de 929 cm3. Avec 3000 exemplaires produits, la Type 5 reste un léger succès pour la marque bien qu’elle n’opposera aucune rivalité à ses concurrentes de l’époque, les Peugeots 201 et autres Rosengarts.
L’été 1934 marque le début du déclin d’Amilcar. La marque devient tout d’abord propriété de SOFIA, une société co-dirigée par Marcel See et André Bries ; puis change de locaux pour s’installer dans une usine plus petite à Boulogne-Billancourt. Ces nouvelles infrastructures ne permettent pas à la marque de poursuivre son impressionnant rythme de production de 35 châssis par jour.
C’est la Pégase qui marque le début de la nouvelle ère Amilcar. Cette voiture au design beaucoup plus affirmé, aux lignes franches et voluptueuses impressionne au salon de Paris d’octobre 1934. Cette fois-ci, Moyet n’intervient pas sur le moteur. On lui préfèrera Grillot qui offrira à la Pégase un cœur à 4 cylindres de 2 litres. Mais le moteur n’est pas au point, trop fragile, trop cher, et cela oblige Amilcar à retravailler d’urgence son nouveau bébé. Ils font alors appel à Delahaye. Ces derniers leur fourniront châssis et moteurs prêt à être assemblés. Le gain de temps et de qualité se perçoit dans les usines de Boulogne, mais l’âme de la marque a changé. Elle qui était si reconnue pour la qualité de ses moteurs, de son avance technologique, se retrouve à appeler des concurrents en renforts pour donner vie à un simple habillage. Mais la voiture reste trop chère et son succès en pâtira lourdement.
La N7 sera la dernière voiture produite par une Amilcar « indépendante ». Le moteur Grillot retravaillé équipe ces autos (300 exemplaires) et leur redonne un caractère sportif.
1937 est l’année qui scellera le sort d’Amilcar. La puissante marque Hotchkiss rachète en partie SOFIA et prend alors part aux décisions sur l’avenir du constructeur français. Si l’entente se déroule bien au tout début, avec l’idée d’une nouvelle Type 5 dans les tuyaux. Un premier prototype est même réalisé, mais abandonné. La raison, Henry Ainsworth, patron de Hotchkiss préfèrera la petite auto de l’ingénieur Grégoire. Cette décision est un premier signe de la fragilité de l’association entre les deux constructeurs, Amilcar et See se rendant compte qu’ils n’ont plus de poids dans les décisions de leur société.
Le projet de Grégoire est donc développé et ainsi devient l’Amilcar B.38 Compound. C’est une petite auto légère à la carrosserie en aluminium tractée par un moteur 1185 cm3. Elle sera tout de même bien reçu par les critiques au salon de Paris 1937.
Sa carrière tournera court malheureusement, la guerre éclatant en 1939. Elle ne sera alors produite qu’un an.
Durant la guerre, l’usine de Boulogne produira quelques camionnettes pour la Croix-Rouge française sur base d’Amilcar Compound. Ce seront les derniers véhicules à sortir de chez Amilcar, Hotchkiss ne relançant pas la marque après 1945.
C’est ainsi que s’achève l’histoire du Pégase. Si elle ne fut pas une grande actrice dans l’histoire des modèles de tourisme, son succès sportif est indiscutable. Fière de dizaines de records du Monde, de podiums sur des courses légendaires avec à son bord d’immenses pilotes, elle restera surtout l’unique marque de l’entre-deux guerres avec Bugatti à savoir vendre des voitures de sport avec réussite. Aujourd’hui encore elle reste un des fleurons de l’Histoire automobile française et dont le souvenir continue de prospérer à travers les évènements organisés par le Cercle Pégase Amilcar.